Le béton n'est pas à proprement parler une nouveauté absolue (comme l'usage du fer du reste) puisqu'on parle déjà du « béton romain » dans l'Antiquité ; la nouveauté technique est constituée surtout par l'utilisation systématique de l'acier dans le béton armé, lui conférant des qualités mécaniques (résistance à la compression et à la tension ou la traction) qui permettent aux architectes de le concevoir comme un nouveau système constructif (ajoutons aussi l'amélioration constante de la qualité des ciments qui contribue à la fiabilité du matériau).

Son usage ne se répand vraiment qu'au tournant fin XIXème/début XXème, notamment grâce aux brevets des ingénieurs français Hennebique et Freyssinet (ce dernier inventeur du béton précontraint).

Il est à noter d'ailleurs que cette période correspond aussi à l'apogée de la construction métallique et de l'architecture du fer avec laquelle il entre en concurrence dans les grands travaux de génie civil : il va ainsi se substituer en partie à elle dans la conception des ossatures porteuses (système piliers-poutres-plancher), des arcs de longue portée (ponts) et des couvertures (voûtes minces ou voiles) ou plus tard de grand porte-à-faux (ex : les tribunes de stades comme celui de Lyon-Gerland œuvre de Tony Garnier en 1926, ou celui de Bordeaux en 1933/38).

Le béton va devenir le matériau privilégié du mouvement des « architectes modernes » qui se constitue et se regroupe progressivement dans les années 20 autour de ses maîtres fondateurs Charles-Edouard Jeanneret dit Le Corbusier, Walter Gropius qui, en Allemagne, prend la tête du Bauhaus en 1919 et Auguste Perret qui en devient rapidement le praticien le plus connu en France. Par ex, dès 1915, Le Corbusier propose de développer son système astucieusement appelé « dom-inno »(projet de construction de maisons en série sur ossature béton, contribution à la résolution du problème du logement bon marché, un des grands défis posés aux architectes de ce temps…).

A noter cependant que si le béton entre de plus en plus dans la construction d'immeubles résidentiels voire de villas, dans ces programmes, il est rarement montré à l'état brut : seuls les chefs de file du mouvement moderne ont la possibilité, grâce à des commanditaires éclairés, de l'exposer à nu et d'en faire en quelque sorte l'étendard d'une nouvelle esthétique dans laquelle la valeur plastique de ce matériau est explicitement utilisée ; la plupart du temps, les architectes ordinaires ou de moindre notoriété sont amenés à le recouvrir d'enduits divers ou de matériaux de couverture qui masquent sa prétendue froideur. Dans un premier temps, nous trouverons donc le béton brut dans des bâtiments à caractère utilitaire où les considérations esthétiques sont relativement marginales, comme les usines.


Dans notre département, en effet, il reçoit d'abord une application importante dans le domaine de l'industrie : dans le contexte local d'un fort mouvement d'industrialisation pendant et après la 1ère guerre mondiale (autour des constructions électriques et mécaniques en particulier) de nombreux ateliers vont être construits sur ossature béton armé parfois couvertes de voûtes surbaissées formées de voiles minces (Arsenal) ou plus simplement de sheds (Alstom).

ATELIERS 118 ET 119 ARSENAL TARBES



Bâtiment 118

1ère construction en 1916, agrandissement en 1932
superficie de 1270 m2
il servait aux essais de résistance thermique des fûts de canons usinés dans le bâtiment 111 voisin ; il présentait une belle élévation sous une voûte surbaissée proche de celles du bâtiment 119.
Il a été démoli en 2009 dans le cadre du réaménagement du site industriel (percement d'une voie nouvelle).


Bâtiment 119



Constitué de deux nefs jumelles, sans doute édifiées en 1917 pour la fabrication de roulements de chars d'assaut.
D'une surface de 4300 m2, ils ont été reconvertis en complexe cinématographique par le groupe CGR (ouvert en 2010).
On remarquera la régularité de la trame formée par l'ossature de béton qui crée un rythme unifiant l'ensemble des deux bâtiments.
Le jeu chromatique béton clair et lisse/ briques rouges de clôture n'est pas dénué d'intérêt esthétique.


L'intérieur révèle deux vastes vaisseaux couverts par une voûte surbaissée, percée au sommet par une sorte de lanterneau assurant un éclairage zénithal venant renforcer celui apporté par les ouvertures latérales qui forment un bandeau continu à la base de la voûte ;


On remarque que la stabilité de celle-ci est renforcée par des sortes d'arcs doubleaux externes, et à l'intérieur par un système de poutres horizontales transversales, ces deux éléments s'appuyant conjointement sur des piliers régulièrement espacés formant des travées bien visibles à l'intérieur.


USINE COFAZ, SOULOM (1925-26)



Historique :


A l'origine, la Norvégienne de l'Azote s'installe sur le site de Soulom à l'initiative du ministère de la Guerre en septembre 1915 pour y installer une usine d'acide nitrique (pour la fabrication d'explosifs). Menacée de fermeture après la guerre, elle est reprise en 1921 par la Société des Phosphates Tunisiens qui la reconvertit dans la fabrication d'engrais ; c'est dans ce cadre qu'est construit l'atelier de synthèse de l'ammoniac en 1925-26 ici présenté.

Le site industriel devenu plus tard Pierrefitte-Auby puis COFAZ (Compagnie Française de l'Azote) enfin repris par le groupe norvégien Norsk Hydro, sera définitivement fermé le 1er janvier 1991 ; une partie des ateliers a depuis été démolie. On voit ici un bel exemple d'atelier à solide ossature pilier/poutre en béton armé couverte par une voûte surbaissée en forme de voile ; l'espace resté libre entre les murs de clôture et la voûte assurant la ventilation de l'installation.


USINE SMF AUREILHAN (1920-21)



Historique :


Barthélémy Gache (1876 Toulouse-1931 Tarbes) entrepreneur du bâtiment et des travaux publics et industriel s'établit à Tarbes dans les premières années du XXème siècle (il construit notamment le nouvel Hôtel de ville de Tarbes ainsi que la Poste) et devient à la faveur de la guerre 14-18 le plus gros employeur de la ville après l'Arsenal.

Les premiers ateliers de métallurgie et mécanique, installés rue Honoré Laporte près du Jardin Massey, jugés trop bruyants, sont transférés en 1919 en bordure de l'Adour face à l'Arsenal, sur des terrains reliés à son domicile (château Montagnan, actuelle direction de la Poste) par une passerelle.

Les « Ateliers de l'Adour » deviennent en 1923 la « Société Anonyme des Forges et Ateliers des Pyrénées » qui travaille surtout pour la Compagnie du Midi à la réparation de wagons et de locomotives.

C'est pour accueillir ces activités qu'est construit en 1920-21 un immense atelier appelé parfois « la cathédrale » pour ses dimensions et son plan d'ensemble.

L'usine devenue en 1949 Service des Matériels de Forage (S.M.F), puis intégrée au groupe Creusot-Loire dans les années 60 finira dans le giron du groupe américain Hughes Tools en 1979 pour être liquidée en 1986.

Description :



Cette usine couvre 7500 m2, mesure 150 m de long sur 50 de large et présente un plan de type « basilical » :
  • une nef centrale
    24 m de large
    23,50 m de hauteur sous faîtage
  • 2 bas-côtés de 12 m de large chacun
l'ensemble s'ouvre à l'est par d'immenses verrières géométriques qui contribuent à souligner l'élévation et l'organisation intérieure de l'édifice.

l'ossature porteuse en béton armé est constituée d'un série de 17 travées formées par de puissants piliers de section rectangulaire ; d'énormes poutres longitudinales portent à leur tour une charpente de facture traditionnelle en bois (pannes, arbalétriers et chevronnage), mais il est à remarquer que les entraits (ou poutres transversales) qui surplombent la nef et ont donc une portée de 24 m sont eux aussi construits en béton armé (certains d'entre eux ont fléchi ou se sont brisés à cause des chutes de couverture consécutives aux tempêtes récentes).


USINE ALSTOM, SEMEAC/SOUES (1921)



L'usine a été créée en 1921 par la Société des Constructions Electriques de France pour y fabriquer le matériel nécessaire à l'équipement du réseau électrifié de la Compagnie des Chemins de Fer du Midi ; après absorption par Alsthom en 1932, l'usine a conservé son orientation en construisant des locomotives électriques.


Une conception architecturale très simple :
Une trame uniforme organisée par un système piliers/poutres supportant une couverture en sheds, système très répandu dans les ateliers industriels de cette époque ; la démolition partielle de certaines parties, dans le cadre de la restructuration du site, permet de mieux observer cette ossature.


On peut observer quelques autres applications remarquables à la construction civile notamment certains bâtiments publics :



A SARRANCOLIN


qui connaît un important développement dans ces années d'Entre-deux-guerres grâce à l'usine électro métallurgique de Beyrède, plusieurs bâtiments publics marquent la nouvelle extension urbaine ; celle-ci, constituée principalement d'une amorce de cité-jardin et d'un lotissement ouvrier (cité A.F.C pour Alais, Froges et Camargue, ancêtre de Péchiney) voit aussi s'aménager un stade, un économat et un cinéma, tous deux en 1928 (ce dernier aujourd'hui restauré et remis en fonction en janvier 2010). Sur la place principale, à la jonction du bourg ancien médiéval et des nouveaux quartiers traversés par la route nationale, a été construite une petite HALLE/ABRI entièrement en béton armé (1926) et quelques années après s'élève un imposant GROUPE SCOLAIRE (1932, Louis Mauny architecte) dont la puissante ossature apparaît dans le préau aménagé en rez-de-chaussée ainsi que dans la modénature des façades latérales.


A ARREAU


la NOUVELLE MAIRIE (architecte Paul Louis Gély) reconstruite après incendie (1929) dans un style proche de l'ancien édifice, réinterprété avec les techniques et les tracés des années 30, dont l'armature bétonnée abrite la halle en rez- de-chaussée (à noter qu'à l'origine cette structure en béton s'affichait clairement alors que la rénovation récente menée sous la direction de l'Architecte des Bâtiments de France Mario Marcos a abouti à la masquer sous un habillage peint de fausse pierre).


Photographies de Maurice MORGA
L'Architecture du XX siècle en Hautes-Pyrénées
VOLET N°1 : UNE INTRODUCTION A L'ARCHITECTURE MODERNE
UN NOUVEAU MATERIAU : LE BETON
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Introduction
La deuxième modernité (années 1910 et 20)
Les exemples choisis
Industrie et bâtiments publics
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Travail de recherche
Maurice MORGA - Professeur retraité
Conception multimédia
Florent Lafabrie - CANOPE des Hautes-Pyrénées