Cette expression due à Louis Cross dans une publication de 1961, désigne l’extraordinaire croissance des effectifs scolaires débutée dans les années 50 et qui va se poursuivre sans discontinuité jusqu’aux années 70 ; elle s’explique par divers facteurs qui se conjuguent pour expliquer l’ampleur de cette vague.

Un nouveau contexte démographique :


Depuis les années de l’immédiat après-guerre, le « baby boom » est à l’œuvre provoquant une augmentation générale de la population (ainsi les Htes Pyrénées gagnent plus de 10% de population de 1954 à 1975, passant de 203 000hts à 227 000). Cette croissance entraine un rajeunissement de la population et le gonflement des tranches d’âges jeunes, celles qui précisément forment les cohortes à scolariser.

Par ailleurs, une forte croissance urbaine accompagne cette vague démographique : ainsi naissent de nouveaux quartiers (cités, grands ensembles) ou se développent des banlieues résidentielles accueillant des familles jeunes avec enfants d’où de nouveaux équipements scolaires à construire.

Une nouvelle politique scolaire


A tous les niveaux d’enseignement, les effectifs sont appelés à croitre :
  • La scolarisation précoce des jeunes enfants est préconisée pour son intérêt pédagogique et comme moment de socialisation utile dans l’éducation de l’enfant, d’où l’essor de l’enseignement pré élémentaire dans les écoles « maternelles ».
  • La « démocratisation » de l’accès aux études secondaires, jusque là plutôt réservées aux catégories aisées : l’ordonnance du 6 janvier 1959 prolonge la scolarité obligatoire de 14 à 16ans, le décret de 1963 généralise les collèges et crée les CES (collèges d’enseignement secondaire). Ce « boom » du secondaire va entrainer l’ouverture accélérée de nombreux collèges et lycées ; CEG et CES en particulier quadrillent le territoire jusque dans des bourgades rurales peu peuplées (Castelnau-Magnoac, Castelnau-Rivière Basse, Luz-St Sauveur, Arreau, Trie sur Baïse …). De nouveaux lycées modernes s’ouvrent à Tarbes (Marie Curie) Argelès (lycée climatique) Lourdes (Sarsan), Vic Bigorre.
  • par ailleurs, l’enseignement professionnel se développe parallèlement (CAP, BEP puis baccalauréat de technicien en 1965…) d’où là aussi la création ou la modernisation de collèges et lycées spécialisés (Sixte Vignon et Lautréamont à Tarbes, lycée agricole de Vic…)
  • Enfin, l’enseignement de type universitaire apparait avec une 1ère implantation, l’Ecole Nationale d’Ingénieurs de Tarbes qui sera suivie 20 ans après par la création d’une antenne universitaire : l’IUT.

De nouvelles préconisations en matière de constructions


C’est tout d’abord la généralisation de nouvelles normes en matière d’hygiène et de confort (blocs sanitaires modernes à la place des traditionnelles latrines dans la cour, chauffage central au lieu du bon vieux poêle à charbon ou à bois…) autant d’éléments qui vont imposer aux locaux scolaires de nouvelles configurations et distributions intérieures et extérieures.

Le mobilier scolaire se modifie également : on passe à un mobilier de classe individuel dont l’esthétique générale est inspirée par les tendances rationalistes du design moderne (tubes métalliques et contreplaqué, couleurs gaies et claires…).

Surtout dans le domaine de la construction proprement dite, la période voit la généralisation des procédés de préfabrication industrielle appliqués au bâtiment ; ces méthodes ont souvent été expérimentées et mises en œuvre au cours des années 50 et largement utilisées dans la construction de l’habitat collectif social (type HLM) et l’aménagement des grands ensembles qui fleurissent à la périphérie des villes.

Cela passe par l’uniformisation des normes constructives, l’unification générale des dimensions permettant une économie substantielle en rendant possible la production de masse d’éléments préfabriqués ; c’est ainsi que la trame « Education Nationale » de 1,75m est mise au point à partir d’une circulaire de 1952. En 1962, un grand concours concepteurs/constructeurs organisé par le ministère permet de sélectionner un certain nombre d’entreprises (ou de regroupements d’entreprises) qui reçoivent ainsi un agrément officiel et peuvent bénéficier de commandes publiques à plus ou moins grande échelle. Les procédures administratives étant elles aussi facilitées, les chantiers peuvent s’ouvrir à un rythme soutenu : « en 1968, près de 300 collèges et lycées sont lancés ! L’objectif d’un collège par jour ouvrable est atteint. Au total, de 1964 à 1969, près de 800 000 places nouvelles sont construites. De 1964 à 1975, plus de 2 350 collèges sortant de terre, le ministère pavoise : il a relevé le défi. » (Antoine Prost, Regards historiques sur l’éducation en France, XIX-XXème siècle. Belin, 2007).

Le caractère systématique de ces choix constructifs a engendré de façon générale une monotonie certaine dans l’architecture scolaire de la période, dont la « signature visuelle » est toujours très perceptible dans le paysage urbain et ce d’autant plus que ces 20 années (mi années50-mi années 70) correspondent au plus grand « boom » de l’histoire de la construction scolaire.

Nous n’avons sélectionné ci-après qu’un petit nombre d’exemples de ces nouveaux établissements bâtis dans les quartiers d’habitat collectif ou les banlieues résidentielles, limitant volontairement notre choix à quelques exemples représentatifs pour éviter une présentation qui risquait de devenir trop répétitive ; par exemple, nous ne citons aucun collège alors qu’ils sont nombreux à avoir été construits dans cette période (Paul Eluard/Laubadère, Pyrénées, Victor Hugo, Voltaire à Tarbes, Séméac/Aureilhan, Tournay, Gaston Fébus à Lannemezan, Sarsan à Lourdes…). En effet, leur description n’aurait rien apporté de plus par rapport aux écoles primaires : si le contenu des programmes présente quelques différences selon le niveau d’enseignement, les normes et les procédés constructifs ainsi que l’esthétique générale ne s’écartent guère des mêmes modèles reproduits systématiquement à grande échelle.


A Séméac, Raoul Fourcaud, architecte départemental, est chargé de la construction d’un groupe scolaire comprenant une école primaire garçons-filles et une école maternelle attenante (voir chapitre précédent) ; les plans sont datés de 1955, la 1ère rentrée se fera en septembre 57 les travaux s’achevant en 58. Cette école est prévue pour 16 classes et 350 élèves environ (chiffre s’élevant progressivement jusqu’à près de 500 au début des années 60) ; le bâtiment comporte les installations modernes désormais requises (sanitaires, chauffage central…) et se présente comme un long édifice rectiligne rythmé seulement par la trame des poteaux porteurs verticaux en béton et les moulurations qui soulignent allèges et fenêtres. Les deux préaux placés en bout de bâtiment viennent rompre quelque peu cette monotonie.


Ce dispositif rectiligne se retrouvant dans plusieurs autres réalisations contemporaines, nous n’en avons retenu ici que deux :
A Maubourguet, le nouveau groupe scolaire, nommé Fernand Camescasse, construit en 1955 non loin du stade est inauguré en juin 1956 ; ici aussi l’ensemble des classes est flanqué par deux préaux sur lesquels viennent s’appuyer 2 pavillons accueillant les logements de fonction.


Même schéma à Vic-Bigorre au groupe Pierre Guillard édifié en 1955 sur des plans de Jean Gassan, le rythme régulier de la façade étant ainsi rompu par les deux cages d’escalier aux parements de briques rouges qui viennent légèrement en saillie.


Le trois réalisations présentées ci-dessus, bien que très contraintes par des programmes et des budgets limités, s’essaient malgré tout à créer une architecture d’assez bonne qualité…Il n’en est pas de même pour des chantiers exécutés au plus pressé et à bas coût pour faire face à la poussée démographique qui s’affirme au cours des années 50 générant assez souvent une certaine médiocrité esthétique ou du moins une grande banalité.

En effet, l’utilisation systématique de procédés de préfabrication industrielle se généralise au cours des années 50 pour atteindre son apogée pendant la décennie suivante où les besoins de constructions scolaires se font encore plus pressants (et ce à tous les niveaux, de la maternelle à l’université).


Cependant, certains maître d’oeuvre, tout en étant soumis aux impératifs des maîtres d’ouvrage (ministère, départements, communes) arrivent à conserver un certaine autonomie créative qui leur permet de réaliser, à la marge, un vrai travail d’architecte.

L’école Victor Hugo à Tarbes, nous semble illustrer ce propos :


Conçue sur des plans de l’architecte tarbais Georges Vergniaud en 1955, elle est inaugurée en avril 1958 ; il s’agit d’un groupe de taille assez considérable (18 classes prévues), bénéficiant d’un programme très complet comprenant par exemple des salles spécialisées aux fonctions diversifiées (atelier bois et fer, salle de sciences, salle d’enseignement audio visuel de 235 places, bibliothèque, un bloc médical…). On voit par là se manifester les nouvelles conceptions pédagogiques faisant plus de place aux matières et activités d’éveil ; d’ailleurs, en 1967, l’établissement sera facilement transformé en CEG puis en CES l’année suivante.

On peut percevoir dans cet exemple, parfaitement lisibles sur les élévations des façades, les effets architecturaux de la mise en œuvre du module de 1,75m systématiquement employé pour dimensionner le bâti ; toutefois, le soin apporté à la modénature des façades principales, l’arc de cercle formé par le préau assurant la liaison entre le bâtiments d’enseignement et le bâtiment administratif donnent à cet établissement une certain personnalité.
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Le groupe Jules Verne implanté au cœur du plus vaste ensemble de logements collectifs du département, le quartier populaire de Laubadère à Tarbes, d’une plus grande envergure encore (24 classes, une cantine et logements), est construit en 1968-69 sur des plans de 1964 établis par Louis De Marien (ou Hoy de Marien) ; bien que la trame de 1.75m devenue norme impérative nationale soit ici bien plus présente dans le bâti, l’architecte a su proposer un dispositif au sol s’éloignant de la rigidité des longs bâtiments rectilignes : les deux corps principaux s’articulent autour d’un patio entouré de galeries, introduisant ainsi une certaine variété des espaces et des circulations.


Non loin de là, le même architecte construit en 1961-63 l’école maternelle Jacques Prévert qui présente elle aussi un dispositif qui lui donne une personnalité propre : il évite la monotonie qu’aurait engendré une longue façade rectiligne en articulant deux ailes selon un angle très ouvert et la fait précéder par des éléments de murs bâtis selon la méthode traditionnelle en lits de galets roulés de l’Adour, ce qui, outre ses effets esthétiques crée sur le plan fonctionnel un sas entre la cour de récréation et les salles de classe.


Ecole « Las Moulias », Lannemezan


Cette réalisation, implantée au sein du tout nouveau quartier d’immeubles collectifs de type HLM appelé Cité des Bans, montre également que l’on peut pratiquer une véritable architecture tout en se soumettant à ces contraintes. Le duo Noël Le Maresquier-Paul De Noyers, très actif à cette époque sur la ville de Lannemezan, livre là une réalisation certes modeste (le programme initial prévoit 2 classes maternelles et 4 primaires) mais présentant des espaces et agencements de qualité (2 corps de bâtiment correspondant aux 2 niveaux d’enseignement articulés sur une mini tour de logements de fonction)…prouvant ainsi que l’architecture scolaire de cette époque n’était pas condamnée à des réalisations sans âme.


Cités scolaires et nouvelle génération de lycées



Une réalisation exemplaire : le lycée climatique d’Argelès Gazost


A consulter sur notre site : architecture65.net

La Cité scolaire Pierre Mendès France, Vic-Bigorre


Edifiée au cours des années 1960-66, d’abord comme collège-lycée puis adjonction d’un lycée professionnel, elle est organisée autour d’un parc aménagé progressivement qui assure circulations et liaisons entre les principaux bâtiments ; elle offre ainsi un espace très aéré et ouvert sur le paysage.


Son architecture montre une utilisation intéressante sur le plan esthétique des procédés de préfabrication industrielle systématiquement utilisés par l’Education Nationale à cette époque ; c’est particulièrement le cas pour l’internat dont les façades et murs-pignons présentent une modénature fondée sur l’utilisation de matériaux assez communs mais agencés de façon à en tirer un effet décoratif particulier…(l’architecture fondée sur la préfabrication n’est donc pas condamnée à la médiocrité)


Par ailleurs, comme toute construction sur crédits publics, le lycée a bénéficié du 1% artistique avec par exemple la réalisation d’une composition de céramique installée à l’entrée du restaurant scolaire.


Le lycée Marie Curie, Tarbes


D’abord appelé « Bel Air » puis définitivement Marie Curie, sa construction complète s’étale sur 10 ans de 1956 à 1967, mais dès 1961, l’essentiel de l’aménagement est fait et l’établissement peut accueillir 50 classes à la rentrée de septembre.

Dans un premier temps, l’architecte départemental Jean Martin avait été sollicité par la ville, mais dès novembre 1955 le ministère charge Pol Abraham du projet. ; il propose un plan d’ensemble daté de juin 1958.


Le programme prévoit un établissement de 1900 élèves avant tout féminin (1950 filles contre 50 garçons seulement) de la 6ème à la Terminale, comprenant un lycée classique et un lycée technique ; l’internat est prévu pour 250 élèves et des installations sportives très complètes dont une piscine, ce qui était -et reste- exceptionnel. L’essentiel de la construction se déroule entre l’automne 57 et 1963. Le dispositif d’ensemble est conforme à ce que l’on trouve dans toutes les cités scolaires construites au même moment dans tout le pays : des bâtiments aux fonctions clairement identifiées, disposés en U autour d’un vaste espace aménagé en parc largement ouvert sur le paysage (ici la chaîne des Pyrénées omniprésente également à partir des ouvertures en façade Sud) ; les installation sportives viennent s’insérer dans cet espace au Sud du terrain.


Sur le plan constructif, rien que de très banal : une ossature en béton armé poteaux/poutre/plancher, construite selon des procédés de préfabrication industrielle et assemblée de façon rectiligne suivant des chemins de grue ; cette ossature a été mise à nu et rendue visible lors des travaux de restructuration du lycée intervenus en 2013-14.


Des murs-rideaux en tôle d’aluminium fixés sur des poteaux de bois entre lesquels les allèges sont construites en parpaing de ciment.
Ces longues façades, dépourvues de tout élément décoratif pouvant les animer ont généré une architecture d’une assez grande monotonie et médiocrité visuelle surtout si on les compare à celles du lycée climatique d’Argelès construit au même moment.


Cependant, cette banalité du bâti est compensée par la qualité du cadre général de l’ensemble, dont une partie a été prise sur le parc de la Villa Bel Air attenante (partie Est avec internat et restaurant) où ont été conservés certains arbres vénérables : c’est ce que nous révèle une photographie aérienne prise sans doute au cours des années 70.


Le Lycée d’Enseignement Professionnel Sixte Vignon, Tarbes


A l’origine centre d’apprentissage né en 1942-43 et logé dans une aile de la caserne Reffye, il s’installe dans ses nouveaux locaux édifiés sur d’anciens terrains appartenant à l’entreprise Gaches et situés au Nord de l’usine de la Société de Matériel de Forage ; la 1ère rentrée aura lieu en 1964, les effectifs prévus étant de 760 élèves.
Sans être une véritable cité scolaire ; il offre l’aspect d’un établissement ouvert conforme à la nouvelle doctrine de l’architecture scolaire des années 60. En effet, installé sur un vaste terrain, il peut disposer de manière rationnelle ses différentes fonctions dans plusieurs édifices faciles à identifier : externat (salles de cours et administration), ateliers qui sont au cœur de cet établissement tourné vers les métiers de l’industrie, internat, cour, installations sportives et gymnase.


Une géométrie stricte préside à l’élévation des bâtiments d’externat et d’internat, qui révèle ici aussi l’application sans fantaisie du module de 1,75m conforme aux directives nationales en la matière. Le « lifting » opéré il y a quelques années a permis à ces bâtiments assez largement défraichis de retrouver un aspect plus séduisant.


L’Ecole Nationale d’Ingénieurs de Tarbes (ENIT), un petit campus à l’américaine


En effet, cette réalisation typique des années 60 semble s’inspirer, pour sa conception d’ensemble (et notamment l’implantation de ses bâtiments) du modèle des campus universitaires anglo-saxons : ce modèle est d’ailleurs en œuvre un peu partout dans les grandes villes universitaires françaises qui commencent à édifier de grands campus dans leur périphérie plus ou moins proches au cours de ces années 60 pour remplacer les facultés de centre ville, certes vénérables mais obsolètes face à l’afflux de nouveaux étudiants (Rangueil pour Toulouse, Talence pour Bordeaux par exemple).
L’ENI de Tarbes est édifiée en 1962-63 à la périphérie ouest de la ville sur le domaine Desbons acheté par la ville à cet effet dont la villa (de style pittoresque anglo normand) et la ferme ( traitée plutôt dans un style régionaliste bigourdan) sont conservées, rénovées et restructurées : elles seront intégrées aux nouvelles constructions notamment pour l’accueil du foyer des étudiants.


Conformément aux schémas d’organisation des campus ou des cités scolaires ouvertes décrites précédemment, nous trouvons de bâtiments spécialisés répartis sur un parc paysager arboré ou couvert de pelouses ; à proximité immédiate est édifiée en même temps une cité universitaire pour loger les étudiants.


Les architectes J. et P. Génard de Toulouse ont conçu les édifices selon les préconisations habituelles de préfabrication et de dimensions fondées sur le module de base de 1.75m ; c’est d’ailleurs l’entreprise toulousaine Duc et Méric, dépositaire d’un des procédés de préfabrication agréé auprès des autorités officielles qui est chargée du chantier.


L’ensemble des bâtiments est resté longtemps dans son état d’origine jusqu’aux travaux intervenus au cours des années 90 (rénovation et extension) notamment la construction d’un nouveau bâtiment par l’architecte Edmond Lay en 1992-93.


Photographies de Maurice MORGA
L'Architecture du XX siècle en Hautes-Pyrénées
L'ARCHITECTURE SCOLAIRE DE LA IIIEME REPUBLIQUE A NOS JOURS
AU COEUR DES 30 GLORIEUSES
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Introduction
« L'explosion scolaire»
La signature visuelle des années 60-70
Les écoles primaires et maternelles
Galerie d'images
Travail de recherche
Maurice MORGA - Professeur retraité
Conception multimédia
Florent Lafabrie - CANOPE des Hautes-Pyrénées