LES ORIGINES DU MOUVEMENT
Le régionalisme, avant d'être un courant majeur dans l'histoire de l'architecture et de s'organiser autour d'un véritable corps de doctrine, a d'abord été une forme de sensibilité apparue à la fin du XIXème siècle, en même temps que l'Art Nouveau ; au même moment le mouvement des félibres et le régionalisme littéraire est en plein essor (voir Frédéric Mistral ou Alphonse Daudet pour la Provence par ex). Mais alors qu'au tournant du siècle l'Art Nouveau se voulait moderniste et progressiste, le régionalisme se veut plutôt traditionnaliste, s'abreuvant aux sources d'un passé antérieur à la modernité du XIXème siècle ; ce passé est d'ailleurs largement idéalisé et supposé plus harmonieux et humain qu'un présent caractérisé par l'essor du capitalisme économique et financier, la poussée industrielle et urbaine et un début d'exode rural déjà sensible dans nos campagnes… tout ceci alimentant une forte nostalgie pour les modèles de l'architecture vernaculaire paysanne, toile de fonds d'une rude bataille idéologique et doctrinaire au sein de la profession.
En effet, face à la domination de l'enseignement de l'architecture par l'Ecole des Beaux Arts diffusant la quasi doctrine officielle de l'éclectisme historiciste (cf chapitre I), les architectes régionalistes vont s'appuyer sur les styles régionaux traditionnels pour y rechercher de nouvelles sources d'inspiration et mieux ancrer leurs productions dans le contexte local . Au départ, il s'agira d'emprunts partiels (matériaux, éléments décoratifs, formes des toitures…) dans le registre du pittoresque, destinés à une architecture de type balnéaire propre à satisfaire le goût d'une bourgeoisie qui est gagnée par le plaisir de la villégiature ; d'où leur multiplication sur divers littoraux comme le style « anglo-normand » qui se répand sur tout le littoral de la Manche, de la Côte d'Opale (Le Tréport, Le Touquet..) aux stations prestigieuses de la côte normande (Deauville, Trouville, Cabourg…) mais qui essaime aussi jusque dans nos stations thermales pyrénéennes (Villa Suzanne à Argelès 1911-12)).
De même s'esquissent dans la première décennie des éléments de néo provençal, néo flamand et néo basque (voir les œuvres de François Cazalis).
L'ENTRE-DEUX-GUERRES, UNE PERIODE DECISIVE
Mais c'est plutôt au lendemain de la guerre 14-18 que s'affirme et s'organise un puissant courant régionaliste qui cherche à s'appuyer sur un véritable corps de doctrine et des maîtres à penser, en réaction contre les architectes « modernes » qui eux aussi se regroupent et s'organisent au même moment (par exemple, les Congrès Internationaux d'Architecture Moderne ou CIAM animés par Le Corbusier et l'Union des Artistes Modernes, la revue « Architecture d'Aujourd'hui »…) ; le régionalisme offre lui deux versants qui tendent à se différencier de plus en plus au cours des années 20-30 :
- Un courant plus traditionnaliste cherche à ressusciter l'architecture vernaculaire rurale menacée de disparition ; le débat suscité par la question de la reconstruction des régions dévastées par la Grande Guerre va lui donner une plus grande visibilité et les concours organisés à cette occasion vont voir fleurir des styles néo régionaux de l'Artois à la Lorraine en passant par la Picardie et la Champagne.
Le maître à penser de ce courant,
Charles Letrosne, publie en 1923-26 « Murs et toits pour les pays de chez nous », véritable bible du régionalisme qui définit des modèles-types pour une architecture rurale mais aussi péri urbaine (pour la banlieue résidentielle de l'époque).
Se référant aux études de géographie humaine de Jean Brunhes cette doctrine met aussi en avant les principales régions touristiques françaises dont les architectures-types sont diffusées et vulgarisées par des revues comme « La vie à la campagne » ( née en 1906 aux Editions Hachette) ; celle-ci propose des modèles, inspirés des grandes villas de luxe, propres à séduire les classes moyennes et la petite bourgeoisie et adaptés à leurs moyens financiers. On peut parler à leur propos d'une véritable « culture du matériau » selon l'expression de François Loyer (op. cité), matériau constructif considéré comme l'expression même de l'authenticité visuelle ou la marque de fabrique du génie du lieu.
- un courant « régionaliste moderne » qui, certes, s'oppose aux positions les plus radicales du mouvement moderne, mais cherche une nouvelle synthèse historique réinterprétant les caractéristiques des traditions constructives régionales à la lumière des apports de la modernité ; ainsi par exemple le souci d'intégrer le « confort moderne » dans l'habitat amène à repenser les formes traditionnelles, notamment la distribution des pièces, en fonction d'impératifs nouveaux.
N'oublions pas à ce sujet que nous sommes dans le contexte de l'exposition « Arts Déco » de 1925 à Paris et de « l'Exposition Internationale des Arts et techniques Modernes » de1937 qui toutes deux à leur manière ont posé la question de la synthèse entre tradition et modernité ; notons à propos de cette dernière exposition qu'un « centre régional » appelé « Doulce France » y était aménagé, au sein duquel on remarquera particulièrement le pavillon des « trois B » (pour Pays Basque, Béarn, Bigorre, réalisé par William Marcel, installé à Bayonne, Jules Noutary à Pau et Jean Martin à Tarbes)…c'est qu'en effet le style néo basque qui s'est peu à peu défini avant la guerre de 14 s'épanouit pleinement au cours des années 20 et surtout 30 et de nombreux architectes installés sur la côte basco-landaise tenteront une séduisante synthèse entre néo basque et Art Déco, ce que nous allons voir ci-après…