Cette croissance s'accompagne de bouleversements économiques, démographiques et sociologiques que nous retrouvons particulièrement marqués dans les Hautes Pyrénées, bouleversements qui ont une incidence directe sur les choix architecturaux qui nous intéressent ici :
- Le baby boom et l'immigration liée à l'essor économique contribuent en premier à la croissance démographique générale :
203 000hts dans le département en 1954, 227 000 en 75
- La croissance industrielle est forte et les effectifs employés atteignent leur apogée au début des années 70 (ex : Arsenal Tarbes 3200, Alsthom 2300, Ceraver 1300…)
- L'exode rural, déjà amorcé dans la 2ème moitié du XIXème, s'accélère et contribue largement à l'urbanisation spectaculaire de certaines villes
agglomération de Tarbes : 48000 en 1954, 90000 en 1973
Lannemezan : 5300 en 1954, 8700 en 1968
- une nouvelle sociologie :
Outre l'augmentation du nombre d'ouvriers, on observe une forte croissance des classes moyennes tertiaires (employés, fonctionnaires, enseignants …) et des cadres. Cette nouvelle sociologie combinée à la pression démographique crée de nouveaux besoins en logements, équipements, infrastructures : par ex, baby boom et démocratisation de l'accès à l'enseignement secondaire conduisent à la multiplication des constructions scolaires (écoles, collèges, lycées).
- N'oublions pas l'essor du tourisme et des loisirs qui accompagne l'émergence de cette nouvelle société, ce qui dans notre département va susciter une nouvelle orientation économique (notamment avec les sports d'hiver et le développement des stations de montagne : St Lary, La Mongie, Piau Engaly…)
Au total, une vague de travaux publics, équipements, construction de logements publics (HLM) et privés…sans précédent dans l'histoire du département.
L'influence du mouvement moderne :
Ce vaste mouvement de construction et de chantiers nouveaux s'accomplit aussi dans le contexte d'une
« idéologie modernisatrice » qui s'est emparé du pays au lendemain d'une guerre, ne l'oublions pas, marquée par une défaite historique en 1940 que beaucoup ont attribué, non sans raison, à un certain retard français (comme après celle de 1870 par ailleurs).
C'est pourquoi l'esprit des architectes modernes va s'imposer dans cette période ; les pionniers des années 20-30 sont toujours là, à l'instar d'Auguste Perret qui dirige la reconstruction du Havre, ou Le Corbusier, enfin reconnu, qui édifie ses « unités d'habitation » à Marseille, Rezé, Briey, Firminy, par ex. Leurs émules ou disciples comme les ralliés récents vont alors donner libre cours à leurs projets, souvent appuyés par la puissance publique qui souhaite des réalisations rapides voire urgentes (cf la grave crise du logement des années 50…voir l'Abbé Pierre qui se fait connaître à cette occasion). Les résultats, nous le savons aujourd'hui, ne seront pas à la hauteur des espérances suscitées à l'époque (pensons aux grands ensembles de logements sociaux qui s'édifient alors aux portes de nos villes).
Il convient à ce point de rappeler rapidement quels sont les fondements de ce qu'il est convenu d'appeler « architecture moderne », ce qui nous permettra de mieux comprendre les qualités des exemples locaux que nous avons sélectionnés dans ce chapitre :
Au cours des années 1920-30 un mouvement de jeunes architectes se structure autour des
CIAM (Congrès Internationaux d'Architecture Moderne) dont le premier se tiendra en Suisse à La Sarraz en 1928 à l'initiative de Le Corbusier ; il faut souligner aussi le rôle éminent joué par le Bauhaus fondé en Allemagne dès 1919 par Walter Gropius, de même que le mouvement constructiviste dans la jeune Union Soviétique pas encore tout à fait stalinisée au début des années 20. Proche aussi de ce mouvement, se forme en 1934 l'
Union des Artistes Modernes animée par Robert Mallet-Stevens, Jean Prouvé, André Lurçat, Charlotte Perriand…
Quel est leur credo ?
On le trouve en particulier synthétisé dans la
« Charte d'Athènes » rédigée en 1933 mais publiée seulement en 1943 et qui ne sera largement diffusée qu'après-guerre.
Nous ne retiendrons ici que quelques notions-clés propres à mieux comprendre la logique qui sous-tend cette nouvelle architecture:
1. Dans les
méthodes de construction, tout d'abord :
- utilisation de matériaux modernes fournis par l'industrie tels que béton, acier, aluminium, verre…
- industrialisation des procédés de construction, c'est-à-dire application à la construction des méthodes de standardisation et de préfabrication déjà utilisées dans la grande industrie et par exemple l'automobile (rappelons la célèbre formule de Le Corbusier, le logement est une « machine à habiter » comme la voiture est une machine à transporter).
La généralisation du
béton armé ou des
ossatures d'acier permet
le plan libre presque sans murs porteurs avec des façades largement ouvertes
2.
Sur le plan esthétique, c'est le
fonctionnalisme qui, unifiant formes et fonction, doit être au cœur de la démarche de l'architecte.
Il en découle une
épuration des formes : il faut se dégager de l'ornementation inutile qu'a léguée le style historiciste/éclectique du XIXème, et même de l'Art Nouveau d'avant 14 et de l'Art Déco des années 30.
3. Enfin, sur le plan de la conception de la ville, l'urbanisme des modernes est fondée sur le
« zonage » des fonctions urbaines et donc l'aménagement de quartiers ou zones d'activités spécialisées selon la trilogie fondamentale travail-logement-loisir le tout relié par des voies de circulation rapide.
Nous savons aujourd'hui que cette vision fonctionnaliste et machiniste de la ville est une des sources de certains problèmes que vivent les agglomérations urbaines de notre pays…