Les cinq édifices présentés ici illustrent, chacun à sa manière, divers courants esthétiques qui coexistent au cours de la période considérée :
  • Le Musée Salies de Bagnères, peut-être le plus proche de l'esprit Art Déco par la richesse de son programme décoratif, et la crèche de la Goutte de Lait à Tarbes, semblent tout droit sortis de l'exposition de 1925.
  • Les nouvelles Archives Départementales de Tarbes et le siège de l'entreprise Soulé à Bagnères sont plutôt représentatifs du « classicisme moderne » cité ci-dessus, soucieux d'équilibre et de clarté des volumes tels qu'on le trouve chez Auguste Perret ou Tony Garnier à la même époque.
  • Quant à l'ancien central téléphonique de l'Avenue Fould à Tarbes, par son riche parement de brique, il s'inscrit dans un style peu répandu dans notre région mais que l'on trouve plus volontiers dans les équipements publics construits dans ces mêmes années en région parisienne (écoles, bureaux de poste…) ou bien, plus près de nous à Toulouse (ex : poste centrale à côté du Capitole).


MUSEE SALIES, BAGNERES DE BIGORRE (1927)


Historique :


C'est à la suite d'un legs du riche bagnérais Justin Daléas en 1921-22 que la ville décide la construction du musée (mandature de Prosper Noguès sénateur-maire). Le projet établi par Léon Jaussely (important architecte d'envergure nationale et même internationale : voir fonds Jaussely archiwebture.citechaillot.fr) est approuvé par le conseil municipal le 29 juillet 1927.
Le devis initial supérieur à 1 000 000 F est révisé à la baisse à environ 700 000 F, ce qui conduit l'architecte à réduire la taille de son projet.
La construction fut confiée à l'entreprise Vialla de Bordeaux.

Description :


L'édifice s'ordonne au-dessus d'un portique qui porte un volume puissant ( 1er étage comprenant les salles d'exposition) . Planchers en béton armé ainsi que poutres, poteaux et semelles sur fondations.
L'architecte utilise des linteaux formant des pans coupés à 45° avec les colonnes et les piédroits des ouvertures ; cette solution constructive a été plusieurs fois reprise dans des édifices de la ville (ex : immeuble Lacrouts, place Ramond) ou à Capvern (hôtel Central)

dimensions galerie :
Longueur 30m x largeur 6,50m.
Hauteur 4,80m.
Portique formé de 10 colonnes de 0,60 de diamètre.
Ecart entre colonnes 2,42.
Hauteur sous linteau 3,30.


Le programme décoratif est particulièrement riche.

Il est tout à fait dans l'esprit Arts Déco (on peut le rapprocher du Pavillon de la ville de Paris à l'expo). On notera la rigueur géométrique qui préside à son organisation d'ensemble : du rez-de-chaussée à la corniche, de grands bandeaux ou frises horizontales scandent la façade principale et les deux côtés.

Les thèmes et styles sont plutôt éclectiques :
s'inspirant du roman dans les corniches à billettes
adoptant un style « néo pompéien » pour les cartouches peints en façade (sortes de « putti » à la romaine).


tandis que les épaisses colonnes supportant le portique, striées de rouge vif peuvent être rapprochées, selon Philippe Guitton, de la reconstruction du Palais de Cnossos en Crète par l'archéologue Evans quelques années auparavant ; ces travaux de décoration utilisant une technique inspirée du sgraffite Mattone ont été exécutés par l'entreprise Dominique de Paris.
  • les bas-reliefs résolument « Arts Déco » dans leur cartouche rectangulaire, sont l'œuvre du sculpteur tarbais Michelet et représentent les deux muses de la peinture et de la sculpture.



Ajoutons à cela l'escalier de l'entrée (menant aux salles d'exposition du 1er étage) dont les ferronneries présentent de beaux motifs stylisés.



LA GOUTTE DE LAIT, CRECHE MUNICIPALE, TARBES (1927-42)



Les plans en ont été établis dès 1927 par l'architecte J. Martin, mais la construction a tardé à se réaliser : ce n'est qu'en 1937 que le maître d'ouvrage, la Société Protectrice de l'enfance et la Ligue contre la mortalité infantile des Hautes-Pyrénées obtient le financement nécessaire ; malgré cela, elle ne sera finalement construite que sous le régime de Vichy en 1940-42.

Programme :



A l'origine appelé « Maison de l'Enfance », cet édifice s'inscrit dans une politique hygiéniste et de santé publique caractéristique du début du XXème siècle et de l'Entre-Deux-Guerres, comme l'examen des plans d'origine (consultables aux Archives Municipales) le montre.
Il ne s'agit pas seulement d'accueillir la petite enfance préscolaire - rôle d'une crèche aujourd'hui - mais aussi d'assurer un service social de santé publique : une garderie d'enfants existe bien au rez-de–chaussée mais le 1er étage est dévolu à des enfants malades sous surveillance d'un cabinet médical , avec dortoir et solarium des « isolés » (nous sommes à l'époque de l'héliothérapie prônée contre les maladies pulmonaires et la tuberculose).

Description :



L'aspect général de l'édifice, sur les plans d'origine, est résolument d'esprit moderniste et assez proche du style « paquebot » : lignes horizontales dominantes, soulignées par la corniche et des moulures accompagnant les larges fenêtres en bandeaux, terrasses en forme de pont/coursives, hublots prévus de part et d'autre de la façade…


Le dispositif d'ensemble : deux ailes horizontales s'articulant sur une demi rotonde centrale qui renferme la cage d'escalier semble s'inspirer du Pavillon du Collectionneur de Jean Patout à l'expo de 1925 ; de même , le lettrage en béton « goutte de lait » affiché en façade et intégré au tambour même de l 'escalier, ajoute une touche moderne tout à fait Art Déco (voir par ex le pavillon du tourisme de Robert Mallet-Stevens ou d'autres pavillons/boutiques comme Pomona ou Primavera)(voir site Internet lartnouveau.com/ l'exposition des Arts décoratifs à Paris en 1925).


Un bémol toutefois : la balustrade un peu lourde en béton qui clôt la parcelle sur la rue, là où les plans primitifs prévoyaient une ferronnerie légère à motifs géométriques en accord avec celle de la porte d'entrée principale( elle-même disparue dans son état initial)
On peut par ailleurs émettre quelques réserves sur les choix de « mise en couleurs » lors de la rénovation récente de l'édifice( le brun utilisé pour peindre la rotonde nous parait rompre un peu trop l'unité plastique de l'ensemble).

ARCHIVES DEPARTEMENTALES,

TARBES, RUE DES URSULINES (1936-37)



Historique :



Le problème posé par la conservation et le classement d'archives dont le volume est en constante augmentation est posé dès la fin du XIXème siècle ; jusque là, elles sont dispersées dans divers locaux de la préfecture comme les combles et le 2ème étage. Au début des années 1890, un rapport de Gustave Labat, architecte départemental, préconise la construction d'un nouveau bâtiment près de la préfecture, un autre projet prévoyant plutôt d'utiliser les anciens locaux de l'Ecole Normale d'instituteurs.
La question resta pendante plusieurs décennies durant, jusqu'aux années 30 où le directeur des archives M. Balencie obtint enfin la construction d'un bâtiment fonctionnel moderne.

Architecte choisi :


Raoul Fourcaud, architecte départemental, pour un devis d'environ 1 300 000 F.
Entreprise constructrice : Delfour et Bisseuil de Vieille Toulouse.
Adjudication en juillet 1936, inauguration en 1937.

Description générale :



L'édifice présente 4 niveaux principaux (plus un sous-sol) articulés autour d'un pavillon/tour central accueillant les 4ème et 5ème étages.
Les deux ailes comprennent donc :
  • un rez-de-chaussée (où se trouve la salle de lecture ouverte au public)
  • 3 étages de rangement avec rayonnages
  • l'ossature est en béton : piliers, poutres, linteaux, hourdis, terrasses, escaliers.

En terrasse, une dalle en béton de 15 cm est conçue à l'épreuve des bombes incendiaires.
Ce bâtiment principal était accompagné d'un pavillon annexe abritant les logements de fonction du directeur et du gardien, aujourd'hui disparu lors de la construction du nouveau siège du Conseil Général, mais dont nous conservons l'image sur des photos anciennes.
L'ensemble ainsi réalisé présentait un caractère résolument moderniste que l'aménagement actuel a en partie altéré.


Le décor intérieur est d'inspiration Arts Déco,
au sol, carrelage de grès cérame,
dans le porche d'entrée côté Est, mosaïque de cassons en grès irrégulier.
De même, le porche semi circulaire qui couvre l'entrée Sud est tout à fait dans l'esprit de cette esthétique tant par le choix des matériaux que des coloris.


L'édifice lui-même est assez représentatif de l'architecture officielle de la France des années 30, fruit d'un compromis entre la radicalité de l'architecture puriste du mouvement moderne et la tradition de la composition et de l'ordre classique « à la française » : une composition symétrique, la simplicité et la régularité des ouvertures et du jeu plein/vides en façade, les grandes verrières verticales de la façade Sud et du pavillon central, autant d'éléments qui situent bien cette construction dans le courant dominant qu'on peut qualifier de « modernité apaisée » de cette décennie. En ce sens, il pourrait être rapproché des réalisations contemporaines que nous avons qualifiées de « classiques modernes » dans notre présentation : celles d'Auguste Perret (musée des Travaux Publics place d'Iéna à Paris) et de Tony Garnier (mairie de Boulogne –Billancourt) ou du Palais de Chaillot de Carlu et Azéma pour l'exposition de Paris en 1937.


Organisation intérieure/rangement :



Installation réalisée par les Forges de Strasbourg (marque Strafor) entreprise spécialisée dans les rangements et meubles métalliques.
Longueur totale de rayonnage : plus de 10 000 m de linéaire.
Chaque étage, d'une hauteur sous plafond de 2,20 m offre sur 35 m de long pour 12 m de large 19 rayonnages à double face, disposés de part et d'autre d'une allée centrale de 1,10 m.


L'originalité réside dans le choix de réaliser une structure autoportante intégrée à l'ossature générale de l'édifice : en effet, les montants verticaux en acier qui supportent les rayonnages courent sur toute la hauteur du bâtiment, sans interruption du sous sol à la terrasse supérieure ; ainsi, les hourdis de chaque niveau sont directement articulés sur ces montants verticaux.
Ce choix a permis d'abaisser les coûts de construction en même temps qu'il assurait une grande stabilité à l'édifice ; toutefois, ce parti pris constructif n'est pas sans poser des problèmes délicats de réaménagement aujourd'hui en entraînant une certaine rigidité du dispositif de rangement.
Ce modèle est proche de celui réalisé au même moment pour les Archives Départementales de Loire Atlantique à Nantes et constitue à ce titre aujourd'hui un exemple précieux d'un dispositif caractéristique d'une époque particulière.


SIEGE DE L'ENTREPRISE SOULE, BAGNERES DE BIGORRE



Dominique Soulé, fils du fondateur François Soulé, fait édifier Route de Tarbes, à l'avant de ses ateliers tournés principalement vers la fourniture de matériel électrique, le nouveau siège administratif de l'entreprise qui impressionne par sa taille ; en effet, ces années 30 correspondent à l'âge d'or de l'équipement électrique et ferroviaire des Pyrénées et l'ampleur des volumes de ce bâtiment exprime assez bien les ambitions industrielles de l'entreprise.

On est frappé par la rigueur et la symétrie de la composition de l'édifice, centrée sur le pavillon d'accueil où s'affichent au-dessus de la porte principale les initiales (« DS ») du maître des lieux ; l'absence de décor particulier, l'austérité assez marquée des diverses façades , la présence de puissantes corniches surplombantes qui unifient l'ensemble des corps de bâtiment, font mieux ressortir la force des volumes et l'articulation des deux grandes ailes selon un plan d'allure « palatiale », allure soulignée par le grand perron qui donne accès au pavillon central. On remarquera à ce sujet le soin apporté au hall d'accueil, lumineux et d'esprit résolument moderne (remarquez le dallage, les ferronneries et luminaires).



ANCIEN CENTRAL TELEPHONIQUE,

1 AVENUE FOULD, TARBES (1935)



Construit vers 1935 par l'administration des PTT pour répartir le trafic téléphonique des Pyrénées Atlantiques à la Haute Garonne, cet édifice est resté en service jusque vers 2000 ; il était équipé d'un puissant groupe électrogène prévu en cas de panne de l'alimentation électrique. Il a été transformé et reconverti en centre médical par l'architecte Francis Clédat (installé à Soues) en 2002.
Edifié en brique foraine fournie par l'entreprise Oustau d'Aureilhan (murs de 50 cm d'épaisseur), il comporte deux planchers en béton créant trois niveaux (rez-de-chaussée, 1er étage et un demi-niveau). Son intérêt essentiel repose sur la remarquable modénature de briques de parement qui couvrent les quatre façades, technique décorative assez rarement utilisée dans notre région ; en ce sens, on peut le rapprocher du Palais de Gestas (rue Maréchal Foch,1939) , décrit dans la partie suivante (« immeubles »).


Photographies de Maurice MORGA
L'Architecture du XX siècle en Hautes-Pyrénées
VOLET N°1 : UNE INTRODUCTION A L'ARCHITECTURE MODERNE
L'ART DECO ET MODERNISME DES ANNEES 20 ET 30
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Travail de recherche
Maurice MORGA - Professeur retraité
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Florent Lafabrie - CANOPE des Hautes-Pyrénées