L’ARCHITECTURE SCOLAIRE, UN PATRIMOINE A PART ENTIERE


La « communale » entre patrimoine et mémoire


L’école primaire est en effet un bâtiment omniprésent à la fois dans le paysage concret des villes et des villages de France, mais aussi dans le « paysage mental » de nos consciences. Souvent construits à des endroits clés des villes (sur un grande place ou une artère fréquentée) ou au cœur des villages (pensons à la trilogie mairie-école-église qui en constitue très souvent le centre), les établissements scolaires ont contribué à structurer l’espace réel et aussi « l’espace vécu » dont parlent géographes et sociologues…qui n’a pas de riches souvenirs du chemin des écoliers et des jeux de cours de récréations ?

Ces édifices portent aussi une forte charge symbolique dans la mesure où ils sont au centre de l’apprentissage citoyen et de la socialisation voulue par la République depuis son affirmation à la fin du XIXème siècle jusqu’à nos jours.

Plus largement, écoles, collèges, lycées qui par strates successives ont progressivement quadrillé le territoire national, constituent un immense patrimoine bâti dont il convient de relever les caractéristiques particulières à l’intérieur d’un champ encore plus vaste qui est celui de l’architecture édilitaire, c’est-à-dire conçue sur commande publique, et qui comprendrait notamment les mairies, les hôpitaux, les marchés…

Une architecture codifiée et normée


Le règlement, générateur de modèles

La publication périodique de textes officiels s’appliquant sur l’ensemble du territoire dans un Etat aussi centralisé que la France donne lieu à la mise au point de modèles standard adaptables à toute population scolarisable quel que soit le contexte local. La question du financement de cet immense effort d’équipement va venir renforcer ce phénomène : en effet la plupart des communes étant incapables de financer sur leurs deniers propres la construction des nouveaux établissements vont se tourner vers l’Etat pour en assumer le coût. En 1878, la création de la Caisse des Ecoles va leur permettre d’y faire face par le biais de subventions (dont le montant est d’ailleurs lui même réglementé en fonction de la taille des communes) ; tout projet est ainsi soumis à l’approbation du ministère de l’Instruction Publique ce qui contribue à codifier encore l’architecture scolaire. En 1885-86, les normes de construction, de mobilier et de matériel d’enseignement sont de nouveaux fixées et s’appliqueront pendant de nombreuses décennies sans guère de changements. Cette « économie administrée », centralisée, de la construction scolaire reste en vigueur jusqu’aux années 1980 dans ses grandes lignes et dans son esprit : si dans les années 50 à 70 de nouveaux systèmes constructifs sont mis en œuvre, la logique de la standardisation et de l’industrialisation du bâtiment dans le contexte de la nouvelle « explosion scolaire » des Trente Glorieuses conduit à une nouvelle uniformisation de la production architecturale.

Les architectes pourvoyeurs de modèles-types


Dès 1858, l’Etat exige des plans pour toute construction de maison d’école et confie à l’Inspection Primaire le soin de vérifier les travaux ; en 1862, un concours national est organisé pour fournir les plans-modèles à usage d’écoles primaires, le projet primé étant celui de l’architecte Leculée.

L’élan amorcé sous le Second Empire s’amplifie sous la IIIème République : En 1871, César Pompée réalise un recueil de « plans modèles pour la construction d’écoles et de mairies » qui est adressé à tous les préfets pour être mis à disposition des autorités locales ; c’est la première standardisation des bâtiments scolaires.

En 1880, Félix Narjoux architecte de la ville de Paris publie « l’architecture communale » dont la 3ème série est consacrée à l’architecture scolaire déclinée et adaptée à diverses situations : écoles de hameaux, écoles mixtes, écoles de filles, écoles de garçons, groupes scolaires, salles d’asile (= « maternelles » à l’époque), écoles professionnelles, écoles normales primaires…etc.

L’architecture scolaire devient ainsi une affaire de spécialistes de l’administration scolaire : hauts fonctionnaires, médecins hygiénistes et architectes agréés par l’Etat ; l’usager (en premier lieu l’enseignant, mais aussi l’élève lui-même) est exclu du circuit de la commande publique. Ce circuit se perpétue, guère inchangé pendant près d’un siècle.

Car le même phénomène se retrouve dans les années 1950-70, âge d’or de la préfabrication industrielle dans le bâtiment où l’on observe la mise au point de systèmes constructifs standardisés par de grandes entreprises de BTP (souvent regroupées en consortiums pour plus d’efficacité), systèmes qui sont avalisés par la haute administration d’Etat et immédiatement appliqués à grande échelle.

diffusion et connaissance des modèles par le public


Se pose tout de même la question de la diffusion et la connaissance de ces modèles auprès du public concerné : autorités administratives, pouvoirs politiques nationaux et locaux et bien sûr enseignants eux-mêmes, usagers les plus directement concernés.

Les expositions universelles de Paris en 1867,1878,1889, et plus encore la grande exposition scolaire organisée au Trocadéro à l’occasion du vote des lois Ferry de 1881-82, présentent des modèles étrangers et français de constructions et de mobilier scolaires sous forme de maquettes, reconstitutions de classes-modèles, album de plans, catalogues… Système particulièrement efficace en 1878 : on sélectionne le meilleur instituteur du canton à qui on offre la visite de l’exposition et la présence à des conférences spécialisées, à charge pour lui de communiquer ensuite ses observations aux autres instituteurs par un rapport et une conférence.

Cette volonté vulgarisatrice, mais fonctionnant tout de même de façon verticale, de l’âge héroïque de la IIIème République, semble disparaitre au cours du XXème siècle où s’impose l’autorité administrative dans un pays peu habitué à la consultation citoyenne ; l’Etat central règne sans partage sur la conception et la réalisation des nouveaux établissements scolaires, travaillant la main dans la main avec ce que l’on peut qualifier de « nomenklatura » des architectes qui se partagent ce marché protégé. Ce n’est que récemment et de façon encore très partielle que les usagers sont invités à faire valoir leur souhaits, dans le cadre des nouvelles procédures d’attribution des marchés publics mises en place depuis les années 80.

Une architecture rationaliste


Il s’agit en effet de concevoir des édifices fonctionnels, répondant au plus près au programme pour lequel ils sont prévus, et ce dans le cadre d’une enveloppe budgétaire définie et non extensible ; cette recherche de la fonctionnalité, appuyée sur des considérations pédagogiques et des préconisations hygiénistes (par exemple cubage et ventilation des classes) conduit à une différenciation claire des espaces intérieurs et de leurs abords :

  • entrées, vestibules, conciergerie
  • halls couverts, préaux, vestiaires
  • lavabos ou salles d’eau, latrines
  • salles de classe, de gymnastique, de travaux manuels ou dessin
  • logements et cabinets de travail des instituteurs et directeurs
  • cours de récréation, jardins d’application

Cette fragmentation ou différenciation des espaces fonctionnels ne touche pas seulement les écoles primaires, qui certes constituent le lot le plus important sous la IIIème République, mais aussi les lycées et collèges dont la construction se généralise à la même époque : eux aussi s’inspirent de modèles-types proposés ou réalisés par des architectes sensibles aux enseignements et théories rationalistes de Viollet-Le-Duc tel le Lycée Lakanal de Sceaux (Anatole de Baudot, 1882-86) ou plus près de nous le Lycée Michelet de Montauban (Emile Vaudremer,1886) ; dans notre département, l’exemple le plus probant est celui du nouveau Lycée Victor Duruy à Bagnères de Bigorre construit en 1900-1904 par les Carlier, architectes de Montpellier.

Ce soucis de fonctionnalité se retrouve, parfois poussé à l’extrême au point de s’imposer à toute autre considération, d’ordre esthétique notamment, dans les réalisations des années 60-70 conçues pour faire face à l’afflux scolaire massif de l’époque : les « cités scolaires » et lycées modernes de cette période, avec leurs bâtiments et installations dispersés sur de vastes terrains aménagés en parc paysagers en sont un bon témoignage (voir Vic Bigorre, Lycée Marie Curie à Tarbes et surtout le lycée climatique d’Argelès).

Une architecture de qualité sans ostentation inutile


Dans le cadre de tels programmes contraints, à la fois sur le plan réglementaire et financier, l’écriture architecturale proprement dite se veut plutôt sobre : des gabarits contenus, pas de décoration superfétatoire…l’architecture doit marquer son territoire sans être écrasante. Le maître d’œuvre mettra l’accent sur les oppositions constructives (portant/porté ou ossature/remplissage), les chainages d’angle et encadrements des ouvertures en pierre de taille ou briques foraines venant aussi animer les façades… ainsi émerge très vite l’identité particulière des écoles « Jules Ferry » de la IIIème République surtout, avec leur « air de famille » qui permet de les reconnaitre au premier coup d’œil.

Cependant, tout en obéissant à une typologie générale qui les rend immédiatement identifiables, les établissements scolaires n’en présentent pas moins une grande variété dans les formes et les matériaux utilisés ; plusieurs questions se posent alors : l’architecture scolaire s’écarte-t-elle des caractéristiques de la commande publique qui lui est contemporaine, dans quelle mesure reflète-t-elle, partiellement au moins, l’architecture vernaculaire locale ou au contraire s’affirme-t-elle par des caractères distincts ? question corollaire : son évolution stylistique sur le long terme reflète-t-elle l’évolution générale des modes architecturales dans notre pays , de la fin du XIXème siècle au début du XXIème ? c’est ce que nous nous efforcerons de développer à travers les périodes que nous avons dégagées et qui articuleront notre inventaire départemental.

Quelle périodisation ?


La IIIème République, de la fin du 19ème aux années qui précédent la guerre de 14 est le temps de l’essaimage général pour équiper l’ensemble des communes, d’écoles primaires avant tout ; plus tard, dans les années 1920-30, le rythme de construction se ralentit fortement mais on note que les nouvelles constructions continuent à structurer le tissu urbain dans les nouveaux quartiers ou banlieues notamment.

Après ce ralentissement prolongé jusqu’à la 2ème Guerre, la fin des années 40 et le début des années 50 connaissent une certaine reprise de la construction scolaire qui accompagne le mouvement général de modernisation du pays appuyé sur la commande publique ; les établissements qui voient le jour à ce moment montrent une préoccupation « régionaliste » qui s’essaie, souvent avec bonheur, à une intégration dans le contexte du bâti local .

Les deux décennies qui suivent voient au contraire le triomphe sans partage de procédés de construction industrielle standardisée, accompagnant une vague constructive sans précédent pour faire face aux besoins massifs engendrés par la croissance démographique et la démocratisation de l’enseignement ; cela engendre un bâti plutôt uniforme, souvent sans qualité esthétique particulière, et dispersé dans des nouveaux espaces urbains eux-mêmes parfois d’une assez grande banalité. L’utilisation massive de ces procédés industriels les rend aisément identifiables surtout lorsqu’il s’agit de longs bâtiments à plusieurs étages comme dans le cas des nouveaux lycées (généraux ou professionnels) ou collèges. Les réalisations de grande qualité sont rares et méritent d’autant plus qu’on les analyse plus longuement : c’est le cas du remarquable lycée climatique d’Argelès-Gazost conçu par André Rémondet ou de la Cité Scolaire de Vic-Bigorre.

A partir des années 80, un changement fondamental s’opère en matière de maîtrise d’ouvrage : grâce aux lois de décentralisation, ce sont désormais les collectivités territoriales qui sont en charge de la construction et de l’entretien des établissements scolaires (écoles-communes, collèges-départements, lycées-régions). Dégagés de la tutelle nationale, les projets se diversifient avec une plus grande liberté des programmes et du choix des architectes (souvent à l’issue de concours ouverts) ; cependant, notre département connaissant une démographie stagnante et une forte crise industrielle et urbaine, le rythme des réalisations se ralentit natablement : les constructions neuves sont rares (collèges de Maubourguet et de Trie, IUT de Tarbes conçu par Edmond Lay, STAPS) et très souvent les travaux se limitent à des restructurations de bâtiments déjà existants (cas du Lycée Marie Curie de Tarbes).
L'Architecture du XX siècle en Hautes-Pyrénées
L'ARCHITECTURE SCOLAIRE DE LA IIIEME REPUBLIQUE A NOS JOURS
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Travail de recherche
Maurice MORGA - Professeur retraité
Conception multimédia
Florent Lafabrie - CANOPE des Hautes-Pyrénées